Billet

LÂCHE PAS, PAPA, T’ES BON !

19 août 2025 0

LÂCHE PAS, PAPA, T’ES BON !

(ou une épopée de 135 km)

 

On avance dans la nuit,

À la lumière de nos frontales.

Il est quelques pas devant moi.

Mon fils,

Venu directement de Gaspé.

750 km, 8 heures de route.

On monte vers le sommet du Mont Sainte-Anne.

On a 1h30 pour 3,6 km et 633 m de dénivelé.

Rien de bien difficile.

Franchement.

En temps normal rien de bien difficile.

Le hic ?

Le hic ce sont les 104 km, 4500 m de D+ et les presque 24h de course déjà effectuées.

Il est là le problème. 

Chaque pas est un effort.

Chaque pas vers le haut, dans ces roches et ces racines, est un effort.

1h30 pour arriver avant le cut-off du Sommet 1, 

Et avoir assez de temps pour la deuxième boucle vers le sommet.

Un peu plus tôt, ma fille ma pris entre quatzyeux au ravito du Mont Sainte-Anne,

Ma fille,

Venue directement de Sherbrooke,

300 km, 3 heures de route,

Pour m’assister aux ravitos.

Elle m’a pris entre quatzyeux : 

On a fait les calculs, 

À ton rythme, si tu veux passer à travers les cut-off, tu dois partir dans 5 min.

5 min ?

5 min !

Bienveillante et ferme.

Je sais qu’elle a raison. 

Bien sûr qu’elle a raison !

Presque 24 heures qu’elle assure en maître la coordination de l’équipe de soutien,

Elle, son chum et une amie.

Équipe de rêve.

Alors on avance.

Lâche pas, Papa, t’es bon !

À quelques pas devant moi,

Il maintient le rythme,

Ni trop rapide, ni trop lent.

Sa présence a tout changé.

Avant ça, les dernières montées de ce premier 100 km étaient entrecoupées de pauses pour reprendre mon souffle, calmer la machine.

Chaque montée !

Là, on avance.

On regarde le temps.

Ça va bien. 

Mais ce sera juste.

Lâche pas, Papa, t’es bon.

On croise un coureur et son pacer.

On avance.

Puis enfin, on sort du sous-bois,

On débouche sur la piste de ski,

Le sentier est moins technique,

Je peux allonger la foulée et augmenter le rythme.

On voit le sommet pas loin.

Les lampes frontales d’autres coureurs un peu plus haut.

Lâche pas, Papa, t’es bon.

J’ai une surprise pour toi au ravito.

On atteint le sommet, mais pas le ravito.

Une minute pour admirer la vue, le fleuve, un feu d’artifice au bord du fleuve.

Puis ce sentier qui contourne la montagne.

Enfin, le ravito.

1h15.

On aura mis 1h15.

15 minutes plus rapide !

High five du directeur de course !

Est-ce que j’arriverai dans le prochain cut-off ?

Certain ! dit-il, 

Et après c’est tranquille, plus qu’un seul ravito !

Si le directeur le dit…

Petite pause.

Mac & cheese délicieux. 

Coke délicieux.

Et voilà la surprise.

Une vidéo de mon neveu,

Une vidéo de ma nièce,

Trois vidéos de ma sœur,

C’est ma fille,

C’est elle qui a organisé ça.

La famille éparpillée en France mise à contribution.

Dès le ravito du Massif, cette vidéo de mes parents avec mon autre fils en voyage chez eux.

Mon autre fils aussi est avec moi.

Cette vidéo qui m’a porté pendant déjà 60 km.

Et ma blonde,

Arrivée en surprise à St-Tite,

Elle que je croyais à Montréal.

Ma blonde,

Ma fille,

Et mes deux fils,

Et toute la famille,

Qui sont là avec moi.

Impossible de ne pas y arriver.

On repart dans 6 ?

On repart dans 6 !

D’abord cette descente abrupte dans la pente de ski.

Dure sur les jambes.

Un chevreuil dans les hautes herbes.

Cette descente,

Chaque mètre,

On devra le remonter pour revenir au sommet.

Le chemin de traverse qui nous ramène en arrière de la montagne,

Et à nouveau ce sentier escarpé qui monte sous les arbres.

Roches, racines, arbres.

Un coureur et son accompagnateur s’accrochent à nous pour la montée.

Fiston nous tire tous,

Tranquillement mais sûrement.

Il suit le chemin, nous informe de notre progression, nous rassure sur le rythme.

Et voilà qu’on arrive à nouveau au sommet à l’intérieur du cut-off.

High five du directeur de course.

Bon, je le savais. 

Il le savait.

Là, vous allez tranquillement vers le fondeur. 

Puis ensuite, tu mets les gaz jusqu’à la fin.

Les gaz ? Quels gaz ?

Mac & cheese.

Coke.

On repart dans 4 ?

On repart dans 4.

15 km devant nous, assez roulant.

On devrait y arriver sans trop de difficulté.

Le plus dur est fait,

Suffit d’avancer.

Alors on avance.

Lâche pas, Papa, t’es bon.

Sauf que, peu à peu, l’adrénaline tombe,

Les 28 heures de courses se font sentir,

28 heures dont 2 nuits,

Fatigue, sommeil,

J’ai peur de tomber sur une roche de rien du tout.

D’ailleurs je tombe.

Je m’enfarge dans mes propres bâtons.

Niaiseux!

Rien de grave.

Tranquillement on avance.

Lâche pas, Papa, t’es bon.

Le ravito se fait attendre.

Enfin le voilà.

On retrouve ma fille, ma blonde et toute l’équipe.

Quelques minutes de pause.

Il n’y a plus grand monde sur le parcours.

Quand on a quitté le sommet au 2ème passage, ils fermaient la course pour le 1er passage.

Et maintenant,

Plus que 9 km.

Il ne reste plus que 9 km !

Je vais probablement y arriver.

24 heures plus tôt,

Avec à peine 30 km dans les jambes, je me demandais comment je traverserais les 24 prochaines heures.

Catherine qui avait décidé d’arrêter,

Pas de motivation,

Et les yeux pétillants, heureuse de sa décision,

Pour profiter de la fin de semaine avec les ami.es.

Et moi qui repartais à la boucherie dans le bois.

Et à chaque ravito, la barrière horaire qui ne semblait pas un problème le devient.

À St-Tite-des-caps, avec encore le Mestachibo et le Mont-Sainte-Anne à franchir,

Tout cela me semblait impossible.

Mais les ami.es aux ravitos,

Sincèrement disponibles pour soutenir chaque Pélican qui passe,

Mais ma fille,

Mais mon fils en France,

Mais ma famille,

Mais mon fils venu de Gaspé,

Je ne peux quand même pas abandonner,

Je ne peux pas au moins essayer de le monter le Mont-Sainte-Anne.

Au moins essayer.

Et le voilà maintenant derrière nous ce Mont-Sainte-Anne,

Et plus que 9 petits kilomètres en avant.

Et on met les gaz.

Il le savait le directeur de course,

On met les gaz.

Et on court !

Comment je trouve l’énergie de courir ces 9 derniers kilomètres ?

Je ne le sais pas,

Mais je cours.

Et on dépasse des coureurs et des coureuses,

Chacun chacune avec son accompagnateur.

On les dépasse.

Et on longe la rivière.

Et on traverse la rivière.

Et on retraverse la rivière.

Et les kilomètres sur les panneaux diminuent.

6.

5.

Et le jour se lève sur cette course.

Le jour se lève pour une deuxième fois.

4.

3.

Fiston texte en courant,

Texte à la famille en France,

Texte à l’équipe,

On arrive,

On va le faire,

On avance.

Lâche pas, Papa, t’es bon.

On avance.

Et on approche du pied de la montagne.

Ce n’est pas possible.

Je n’ose pas me réjouir.

Je reste concentré,

Tellement peur de tomber,

Que tout lâche n’importe quand,

Qu’un faux pas soit fatal.

Lâche pas, Papa, t’es bon.

Et on arrive au-dessus de l’arrivée.

L’arche juste en bas au pied de la pente herbeuse,

Une descente,

Un virage,

Elles sont là.

Elles crient.

On arrive dans le corridor d’arrivée.

Sous l’arche, une drôle de structure.

Qu’est-ce que c’est ?

Ça me prend du temps pour comprendre ce que c’est,

Pour distinguer cette petite pente,

Presque rien,

Zyeux fatigués,

Tout fatigué,

Cette petite pente et c’est fini.

Incroyable !

31 heures 15 minutes,

2 nuits,

135 km,

6000 mètres de dénivelé positif.

Deux tiers d’abandon.

Une hécatombe !

Et toute une équipe avec moi,

Ici et ailleurs,

Et tous les ami-e-s coureurs, coureuses,

Tous les Pélicans qui demanderont des nouvelles,

Et Eden et Noémie qui ont franchi aussi la ligne avant moi.

Pas de doute

L’ultra trail est un sport d’équipe !

Crédits photo : Muriel Leclerc, Laurence Gaudy, Colin Rousseau/QMT

Ce billet invité a été rédigé par Vincent Magnat, membre du Club les Pélicans et du conseil d'administration. Si vous souhaitez partager un récit de course, une expérience ou des trucs et astuces sur le site des Pélicans, contactez Jean-François Veilleux

Vincent Magnat
Vincent Magnat